Féminin/Masculin Sacrés, le fantasme erroné
- Sébastien Le Maôut
- 22 août
- 8 min de lecture

La construction idéologique du féminin et du masculin « sacrés » : entre fantasme néopaïen, erreurs historiques et psychologie des croyances
L’émergence des spiritualités alternatives contemporaines, le New-Age, a vu s’épanouir des concepts tels que le « féminin sacré » et le « masculin sacré ». Présentés comme des archétypes immémoriaux, souvent opposés ou complémentaires, ces principes seraient ancrés dans l’inconscient collectif et remonteraient à des époques où les sociétés vénéraient la Nature, les cycles lunaires, ou des déesses-mères. Or, ces affirmations, largement popularisées dans la mouvance New Age, ne reposent sur aucunes données archéologiques ou anthropologiques solides. Au contraire, des recherches scientifiques rigoureuses – comme celles menées par Ina Wunn en archéologie religieuse – soulignent à quel point les reconstructions modernes des cultes anciens relèvent plus du mythe que de la science. Parallèlement, la psychologie des croyances, notamment les travaux de Thierry Ripoll, éclaire les mécanismes cognitifs qui rendent ces discours si séduisants malgré leur faible fondement empirique. Tout comme l’analyse des concepts selon les principes zététiciens du modèle NARA de Thomas C. Durand à propos des fausses-croyances. Cet article vise donc à démontrer que les concepts de féminin et masculin sacrés relèvent d’une construction idéologique récente, ancrée dans des erreurs historiques, des biais cognitifs, et une lecture anachronique des sources qui continuent sa promotion à cause d’auteurs peu scrupuleux comme Mona Chollet, Margaret Murray, Gerald Gardner, Doreen Valiente entre autres.
I. L’histoire religieuse préhistorique : entre pragmatisme symbolique et reconstructions idéologiques
Les représentations humaines les plus anciennes ne permettent pas de conclure à l’existence d’un culte de la déesse mère. Si certaines statuettes paléolithiques, comme la Vénus de Willendorf, présentent des attributs sexuels féminins hypertrophiés, Ina Wunn rappelle qu’aucune preuve n’indique leur usage cultuel religieux au sens théologique. Ces figurines, selon Wunn, pourraient tout aussi bien être des amulettes, des objets pédagogiques ou des talismans protecteurs contre des menaces réelles – y compris sexuelles – dans un environnement hostile. De même, certains objets phalliques ou à apparence zoomorphe ont probablement eu pour fonction de canaliser des peurs (comme les prédateurs) ou d’assurer la fertilité et la protection du groupe, et non de symboliser un principe cosmique genré.
Cette lecture fonctionnelle est corroborée par d'autres recherches archéologiques récentes, qui insistent sur l'extrême diversité des représentations symboliques à travers les cultures préhistoriques. Aucune donnée ne permet de parler d’un matriarcat universel ni d’un système de genre sacré structurant les premières religions. Les sociétés du Néolithique ont certainement pu accorder de l’importance à des figures féminines ou masculines, mais les projeter comme « sacrées » dans un sens mystique, genré et dichotomique est une extrapolation postérieure, influencée par des imaginaires modernes. Évidemment, il est d’usage de faire la distinction avec des cultes et symboles plus tardifs à travers le monde, qui n’avaient pas vocation d’universalité d’un genre « divin », ou encore subissant des extrapolations ou des simplifications outrancières – comme par exemple les concepts du Yin et du Yang.
II. L’invention moderne du féminin sacré : des mythes romantiques à l’ésotérisme New Age
C’est dans l’Europe du XIXe siècle que naît véritablement le mythe d’une religion primordiale féminine, détrônée par le patriarcat. Avec « Le Droit maternel » de Johann Jakob Bachofen (1861), la thèse d’un âge d’or matriarcal s’impose dans l’imaginaire occidental. Puis popularisé par la version romantique de la Sorcière de Michelet. James Frazer, dans « Le Rameau d’or », théorise un cycle de dieux mourants et de déesses de la fertilité, influençant durablement la pensée ésotérique. Ces auteurs, bien qu'influents, ne reposent pas sur des preuves archéologiques robustes mais sur des analogies culturelles et des spéculations.
Margaret Murray, dans les années 1920, radicalise cette lecture en proposant l’idée d’un culte païen pan-européen centré autour d’une déesse et de son consort cornu, survivant clandestinement à travers les siècles jusqu’à l’époque moderne. Or, cette théorie est aujourd’hui largement discréditée. Les historiens des religions, comme Ronald Hutton, ont montré que les sources de Murray étaient biaisées, les analogies forcées, et les interprétations largement infondées. D’autant plus qu’après le relatif succès de ses travaux antérieurs, mais n’ayant plus rien publié depuis plusieurs années et étant dans le besoin financier, c’est son éditeur qui lui proposa de publier une nouvelle thèse pour régler son problème pécunier. Les falsifications de Murray furent prises au sérieux par Gerald Gardner, fondateur de la Wicca dans les années 1950 et son amie Dorren Valiente. Tous deux y virent un lien direct avec l’ouvrage ésotérique Aradia de Leland, présentant un culte d’une déesse des sorcières, réinventant la mythologie gréco-romaine sans aucun fondement.
Le New Age des années 1970 reprend ces mythes avec une dimension psychologisante : la déesse devient un symbole de guérison intérieure, de réconciliation avec son « essence » féminine. Le « féminin sacré » se présente alors comme une spiritualité de ré-enracinement, souvent en opposition au rationalisme et à la modernité, véhiculant une vision essentialiste du genre. Ces discours fleurissent dans les milieux néopaïens, mais aussi dans certaines critiques féministes spiritualistes (notamment Starhawk, Clarissa Pinkola Estés), qui opposent la femme intuitive, lunaire, douce, au masculin solaire, actif et dominateur.
III. Croyance, genre et imaginaire : pourquoi ces idées séduisent-elles malgré leur fragilité scientifique ?
Pour comprendre la force de séduction de ces constructions idéologiques, il faut en passer par la psychologie des croyances. Thierry Ripoll, dans « Pourquoi croit-on ? » (2021), montre que les croyances ne sont pas seulement des réponses rationnelles à des données objectives, mais des structures mentales liées à des besoins cognitifs, affectifs et sociaux. Le besoin de sens, de contrôle, de cohérence et d’identité pousse l’individu à adhérer à des récits structurants, même au mépris des preuves. Par ailleurs, dans son ouvrage « La science des balivernes » de Thomas C. Durand, ce-dernier expose un modèle représentatif des fausses-croyances :
NARA = principe Narratif, principe d’Attraction, principe de Résilience, principe d’Asymétrie
Narratif :
Une histoire bien racontée, cohérente, dotée d’un début et d’une fin, et qui donne un sens à l’expérience.
→ Le féminin sacré raconte une histoire séduisante : celle d’un âge d’or matriarcal où la déesse-Mère était vénérée, suivi d’un basculement brutal vers le patriarcat.
→ Le masculin sacré, dans sa version New Age, serait une énergie solaire, protectrice, aujourd’hui « blessée » mais appelant à la restauration d’un équilibre cosmique.
Attraction :
L’idée plaît, flatte ou séduit. Elle rassure, valorise ou donne un sentiment d’appartenance.
→ Ces concepts offrent un rôle valorisant à chacun : les femmes comme prêtresses intuitives et guérisseuses, les hommes comme guerriers sacrés ou porteurs de lumière.
→ Ils répondent à des besoins identitaires profonds, notamment dans les sociétés sécularisées et désenchantées.
Résilience :
La croyance résiste aux remises en question, en s’adaptant ou en rejetant les critiques.
→ Toute critique est interprétée comme une manifestation du patriarcat (dans le cas du féminin sacré) ou d’un refus de l’éveil spirituel.
→ La doctrine évolue pour rester floue : les définitions changent selon les interlocuteurs, mais conservent leur pouvoir émotionnel.
Asymétrie :
Il est plus facile d’énoncer une baliverne que de la réfuter. Réfuter demande temps, rigueur, sources, alors que l’énoncé initial se diffuse instantanément.
→ Il a fallu des décennies d’anthropologie, d’histoire et d’archéologie rigoureuses (cf. Ina Wunn, Ripoll, critique de Margaret Murray) pour déconstruire les récits néopaïens et New Age… qui continuent malgré tout de séduire.
Le « féminin sacré » promet une réconciliation avec soi, un cadre symbolique lisible, une valorisation d’un genre souvent dévalorisé. Il rassure, donne un sentiment d’appartenance, et propose des solutions psycho-spirituelles à des souffrances réelles (violence, domination patriarcale, perte de repères). C’est cette promesse qui explique en partie le succès d’auteures comme Mona Chollet. Dans « Sorcières », Chollet convoque l’image de la femme persécutée, intuitive, en marge d’un ordre rationnel oppresseur. Si sa critique sociale est souvent pertinente, son usage des symboles, des figures historiques (comme les sorcières ou les déesses) manque de rigueur historique, comme l’ont noté plusieurs universitaires. La relecture spirituelle des mythes anciens est certes porteuse politiquement, mais repose sur des bases souvent fantasmées ou extrapolées. Chollet conditionne à son idéologie sans fondement ni source, là où elle aurait dû s’arrêter à la dénonciation d’un dysfonctionnement de la société à propos des Femmes. À l’heure où l’on déconstruit le genre, elle le renforce et cherche à le permuter dans une hiérarchie obsolète au lieu de l’annihiler.
Il ne faut pas oublier que dans son livre, elle insinue que les femmes font des enfants pour prouver aux autres et aux hommes qu’elles ont des rapports sexuels ou pour prouver qu’elles ne sont pas gays. Donc pour elle faire des enfants seraient une preuve d’homophobie, une faiblesse face à une propagande patriarcale !
Sans compter que les bases historiques de la chasse aux sorcières qu’elle avance, sont pour quasi toutes fausses.
Ce genre d’ouvrages ne parlent pas de la sorcière dans son sens ésotérique, mais cherche à politiser un mouvement idéologique en le ramenant une figure historique dont elle fantasme l’histoire. C’est un sale coup marketing, une œuvre de journaliste. Et comme toutes œuvres de journalistes dans notre domaine, c’est sans aucun fond. Ça rappelle le « Witch Please » d’il y a quelques années écrit par une journaliste qui a avoué en podcast ne pas croire à la pratique sorcière, mais la considère comme pratique sociale !
Comme je l’ai expliqué dans mon second livre « 100 Questions pour bien débuter en Magie » aux éditions Alliance Magique, au XVe siècle en Europe, la chasse aux sorcières était à son apogée, et de nombreuses personnes étaient accusées de sorcellerie, souvent sur la base de superstitions et de croyances populaires. Les accusées étaient souvent des femmes âgées, marginalisées ou excentriques. Pour les distinguer et les stigmatiser davantage, on les faisait porter des vêtements particuliers, notamment des chapeaux pointus. Si une femme était âgée, célibataire, sans enfants ou veuve, cela suffisait à faire d’elle la figure d’une émancipation féminine allant à l’encontre des idéaux de l’époque. Ce type de femme, qui n’était pas forcément pratiquante en sorcellerie, devenait un bouc émissaire tout trouvé et était accusée d’être une sorcière. Toutefois, rappelons que cela n’était pas systématique, il y a autant de femmes mariées qui furent accusées. Seules les premières ont servi de bases à la caricature.
Lors des persécutions, après de nombreuses tortures et de fausses promesses de libération à la suite de leurs aveux, les victimes disaient n’importe quoi pour espérer échapper à la douleur. C’est ainsi que les objets de la vie quotidienne ont été utilisés pour leur attribuer des fonctions imaginaires et fantasmatiques, contribuant à la création de la caricature de la sorcière.
De même, il convient de rappeler que les célébrations sorcières, connues sous le nom de « Roue de l’Année », représentent un concept relativement récent.
Il est essentiel de noter que ce concept a été associé aux sabbats, dont l’origine découle des faux aveux obtenus sous contrainte de femmes accusées de sorcellerie lors des périodes sombres de l’Inquisition. Il est crucial de souligner que cette association a été formulée par Margaret Murray, toujours la même figure singulière, qui a vu son interprétation largement réfutée par les historiens universitaires. Cette conception des célébrations sorcières, en tant que détournement des rituels du paganisme irlandais, ne possède qu’une histoire relativement brève. Il est primordial de comprendre que le paganisme, en tant que mouvement religieux, englobe une multitude de croyances antérieures au monothéisme et ne peut être réduit à une religion sorcière. Ainsi, cette intégration du paganisme au sein du contexte sorcier est une construction intellectuelle datant de moins d’un siècle.
À cet égard, nous vous encourageons vivement à consulter des publications académiques traitant de l’histoire des sorcières. Ces sources diffèrent considérablement des ouvrages ésotériques, qui présentent souvent une perspective fantaisiste dépourvue de bases historiques vérifiables, comme le soulignent les travaux de recherche universitaire menés par Olivier Silberstein, spécialiste de ce domaine.
Le féminin et le masculin « sacrés » ne sont pas des concepts universels, encore moins des héritages archéologiques incontestables. Ils relèvent d’une reconstruction idéologique moderne, nourrie par des erreurs historiques (Murray), des mythes romantiques (Bachofen, Frazer), et une psychologie des croyances qui favorise la cohérence rassurante au détriment de la vérité complexe. En déconstruisant ces notions, il ne s’agit pas de nier les souffrances liées au genre ni le besoin de spiritualité, mais bien de distinguer le mythe de l’Histoire, la projection de la connaissance, et l’idéologie de la science. Il est nécessaire, urgemment, d’éloigner ce type de fausses-croyances de nos pratiques ésotériques. Ainsi que de se méfier des discours des prédicateurs de ce mouvement.
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